Abstract
Révérien Rurangwa et le délit de sale gueule
Suite au génocide tutsi, le canon de la littérature rwandaise s’est enrichi de genres jusqu’alors inexistants, dont le récit de survivance. Parmi les textes qui ont particulièrement retenu l’attention des lecteurs ces dernières années, Génocidé fait figure de référence. Révérien Rurangwa y décrit, entre autres, la perte de son visage, défiguré par la main du bourreau hutu un jour d’avril 1994. Son témoignage s’inscrit dans une thématique nouvelle, celle d’une “récuperation de l’image.” Génocidé constitue une manière de réponse aussi bien à l’imagerie naïve des premiers anthropologues européens qui ont vu dans le Tutsi “un nègre blanchi,” qu’aux discours extrémistes hutus qui ont fait de sa physionomie mi-sémitique, mi-aryenne l’indice d’une différence à éradiquer. L’utilisation de la périphrase, véritable signature stylistique de Rurangwa, est à ce titre exemplaire: figure de l’écart et de la substitution, du mi-dire et de l’emphase, du secret et de l’exagération, elle est sans forme ni contour précis—caractéristique qu’elle partage avec l’objet même du récit, cette “gueule esquintée” dont l’auteur multiplie à loisir les descriptions. Je propose de voir dans ce rapport de connivence une façon de revisiter l’une des grandes questions de la littérature génocidaire: comment surmonter l’expérience de l’indicible?